Réinvestir le bâti et les quartiers normands de la Reconstruction
Introduction
La région Normandie fait partie des régions ayant été le plus touchées par les destructions de la seconde guerre mondiale. S’en est suivi un effort de reconstruction massif et industrialisé qui a amené le confort moderne dans de nombreux foyers : électricité, eau courante, sanitaires privatifs… Ces bâtiments présentent aujourd’hui plusieurs signes de fragilité, entraînant des impacts négatifs sur l’attractivité des centres reconstruits.
« RecoQuartiers » est un partenariat entre l’Etablissement Public Foncier de Normandie et le Cerema qui s’intéresse aux quartiers et immeubles construits entre 1948 et 1958. L’objectif de cette étude est d’identifier les quartiers reconstruits de Normandie, définir leurs enjeux et proposer des méthodologies d’intervention.
Pourquoi définir la Reconstruction par les immeubles construits entre 1948 et 1958 ?
L’étude s’attache à étudier un certain type de quartiers et de bâti, en cohérence avec l’étude réalisée par le Cerema en 2014 « Etude sur la réhabilitation des copropriétés normandes construites entre 1948 et 1974 ». Cette étude établie notamment que les bâtiments construits entre 1958 et 1974 sont plutôt liés à des phénomènes de densification ou d’extension des villes et avec des modes constructifs s’apparentant plutôt aux grands ensembles.
Cette étude s’attache alors à travailler sur les centres denses reconstruits et sur le logement collectif qui y est présent en proposant plusieurs approches :
- Par disciplines, via la construction d’indicateurs sur la bonne santé des quartiers reconstruits d’un point de vue de l’habitat, de la socio-économie, du bâtiment et de la nature en ville.
- Par niveau d’intervention, en proposant des méthodologie d’action à l’échelle du bâtiment, du cœur d’ilot ou de l’espace public.
Cette étude se veut complémentaire des travaux réalisés dans le Mémoire historique de Patrice Gourbin, édité avec l’appui de la Région Normandie dans le cadre du label Patrimoine de la Reconstruction en Normandie.
Les principes urbains des quartiers reconstruits
Principes de l’urbanisme de la reconstruction et enjeux contemporains
A la sortie de la seconde guerre mondiale, de nombreuses villes normandes sont détruites, et leur reconstruction permet d’amener l’idée du renouvellement du bâti et des formes urbaines. L’action urbaine va alors se caractériser par trois concepts : la modernité, la fonctionnalité et le marquage des espaces (Source : ANABF, AUCAME).
Ces concepts ont des conséquences notamment :
- Sur la dépendance à la voiture des villes modernes, de la difficulté de développer la ville du quart d’heure et du grignotage des terres agricoles par l’expansion des zones d’activités économiques et du tissu résidentiel le long des axes de transport.
- Sur la faible place du piéton dans les centres reconstruits, avec une omniprésence de la voiture dans les villes, avec du stationnement fortement présent sur l’espace public et une faible part modale laissée aux modes actifs comme la marche ou le vélo. La tendance à la résidentialisation a de plus amené à la fermeture des espaces traversants en cœur d’ilot, limitant la variété des cheminements piétons dans les centres reconstruits.
- Sur la forte minéralisation des villes reconstruites, liée à l’explosion de l’usage du béton et le manque de moyens qui est apparu au fur et à mesure des chantiers, conduisant à l’abandon des aménagements paysagers.
Ces éléments ont des impacts sur la santé des usagers et sur l’attractivité des quartiers du fait de la dégradation du cadre de vie, du sentiment d’insécurité en tant que piéton, de l’aggravation de la surchauffe urbaine, de la pollution de l’air et d’un confort sonore dégradé.
Le Cerema et l’EPFN propose plusieurs modalités d’actions pour commencer à intervenir sur ses espaces publics.
Les centres reconstruits
Organisation d’un centre type
Une avenue principale dessert la plupart des monuments, places centrales, équipements et commerces. Des voies secondaires permettent l’accès aux entrées de bâtiments ou aux cœurs d’ilots. La voiture en mouvement ou stationnée est fortement présente sur l’espace public. L’intérieur des cœurs d’ilots présente une densification parfois peu organisée (arrières de magasins, air conditionné…) et/ou une absence d’usages définis. (source : Cerema, 2023)
Illustration avec le centre-ville reconstruit de Villers-Bocage (14)
Les équipements sont concentrés le long de l’avenue principale, où figurent les façades d’immeubles les plus travaillées. Un boulevard périphérique permet de contourner le centre dense et connecte les zones d’activités économiques.
Illustration avec le centre-ville reconstruit de Flers (61)
Au niveau opérationnel, l’urbanisme de la Reconstruction se caractérise par une réflexion à l’échelle de la rue ou de l’avenue. Cet urbanisme présente une pensée exigeante en matière d’ensemble : la réflexion architecturale n’est pas centrée sur l’ilot, avec une différence de traitement importante entre les façades orientées vers les cœurs d’ilots, et celles orientées sur la rue. Cette vision globale peut entrer en contradiction avec l’échelon opérationnel d’intervention, qui se fait souvent à l’ilot ou à la parcelle.
Les ilots d’habitation des centres reconstruits
Les ilots de la Reconstruction présentent différents niveaux de perméabilité avec l’espace public. Le Cerema et l’EPFN propose plusieurs modalités d’actions pour commencer à intervenir sur les cœurs d’ilots (cf fiches actions). Une réflexion particulière est accordée aux copropriétés (cf fiches actions).
Cette forme d’ilot n’offre pas d’interaction directe entre l’espace public et l’espace privé. Les non-résidents n’ont aucun accès aux espaces intérieures, la séparation est claire et lisible.
En ce qui concerne les espaces communs extérieurs, les cœurs d’ilots, ceux-ci offrent des situations variables. La problématique la plus fortement rencontrée est le cas des copropriétés où la gestion du cœur d’ilot n’est pas prise en charge du fait du manque de compétence du syndicat de copropriété voire de son inexistence.
Ces cœurs d’ilots peuvent alors devenir des arrière-cours peu qualitatives où se superposent des usages diffus de stationnement, stockage de benne à ordure, arrière de magasin, dans une ambiance fortement minérale.
Ces ilots offrent une jointure directe entre l’espace public et l’espace privé. Ils sont parfois résidentialisés au niveau de la limite du parcellaire afin de marquer le changement de propriété et indiquer la limite aux non-résidents, de manière prohibitive (barrière) ou dissuasive (panneau). Dans d’autres cas, ils peuvent être accessibles aux non-résidents qui n’ont alors pas facilement connaissance du statut privé de cet espace.
Comme pour les ilots fermés, les espaces extérieurs cumulent des fonctions de stationnement, décharge, arrière-cours…
Ce ne sont cependant pas des espaces très fréquentés par des non-résidents du fait de la structure en « cul-de-sac », plus ou moins passante selon la taille de la copropriété attenante.
Ils revêtent cependant un potentiel important en termes d’espaces verts urbains.
Ces ilots offrent une jointure discrète avec l’espace public et se caractérisent par la présence d’une voirie de statut public ou privé. L’entrée se fait alors par une ouverture dans le linéaire de bâtiment, parfois résidentialisée.
Du fait d’un statut public-privé parfois méconnu, la voirie peut présenter une qualité médiocre, avec du stationnement non défini le long d’un trottoir fortement réduit et marqué par les sorties de garages et les grillages séparant les cours d’entrées des immeubles. Les entrées de ruelles sont assignées à la collecte des déchets parfois peu organisée. La déambulation piétonne est difficile et implique de circuler sur la chaussée.
Les barres sont davantage représentatives de l’architecture des années 70 des quartiers péri-urbains, mais sont présentes dans quelques centres-villes reconstruits normands. Ils prennent différentes formes : ensembles de barres en épi de hauteur moyenne (entre 2 et 3 étages), ou bien immeubles plus imposants.
Ces immeubles sont souvent situés sur des espaces diffus où se cumulent des fonctions d’espace vert et de stationnement.
Ce n’est pas le type d’ilot le plus fréquent dans les centres-villes : il se rapproche plutôt de l’urbanisme des années 60-70 en périphérie.
Le lotissement pavillonnaire n’est pas une forme d’ilot en soit, mais représente une part importante des logements construits à la période de la Reconstruction. Il s’insère pleinement dans le parcours résidentiel des habitants des villes concernées.
Il est souvent réalisé avec les mêmes matériaux que pour l’habitat dense, même si sa spécificité a pu disparaitre avec le temps au fil des réhabilitations individuelles.
L’intervention sur ce patrimoine n’est pas l’objet de cette étude qui a été circonscrite au logement collectif dans les centres denses ; cependant, il a fait l’objet d’un travail de prospective de la part du PUCA, de l’ADEME et de Leroy Merlin: « Réenchanter le pavillonnaire urbain des années 1950-1970 » (2022).
Quelques exemples d’ilots dans des centres reconstruits
La forme des ilots reconstruits est particulièrement visible dans l’organisation du tissu urbain.
Les grands principes de construction
Architecture et Patrimoine
Les bâtiments de la reconstruction étudiés dans le cadre de RecoQuartiers sont les immeubles d’habitat collectif construits entre 1948 et 1958. Ils font la jonction entre les modes constructifs traditionnels (utilisant des matériaux traditionnels et locaux comme la pierre) et le début de l’industrialisation (utilisant le béton). Les matériaux de façades et de toiture ainsi rencontrés sont très variés et les caractéristiques constructives spécifiques de chaque bâtiment permettent de les classer en quatre grandes familles :
Conception
Un soin très particulier est apporté dans la conception de ces bâtiments avec des appartements aux surfaces généreuses et souvent traversants. Les ratios de surfaces vitrées par rapport aux murs sont importants et permettent de profiter de la lumière naturelle. Le travail de maçonneries, menuiseries et charpente relève de techniques et savoirs faires anciens, parfois en voie de disparition, ce qui peut rendre complexe la mise en œuvre de travaux de réhabilitation.
Second œuvre
La qualité remarquable des éléments de second œuvre est la raison pour laquelle il faudra veiller à conserver les façades lors de travaux de réhabilitation (on ne préconisera pas d’isoler par l’extérieur un mur dont la façade est jugée remarquable, c’est-à-dire présentant des éléments architecturaux qualitatifs et caractéristiques de la période de la Reconstruction). En particulier, on s’attardera sur la qualité de mise en œuvre des ferronneries, balcons, corniches, portes et poignées de portes, escaliers intérieurs ou extérieurs, ou encore parfois des sculptures ou tous les éléments architecturaux qui peuvent orner la façade (modénatures).
Matériaux
La diversité des matériaux utilisés en fait un patrimoine riche et remarquable. Les bâtiments de la reconstruction sont généralement édifiés avec des matériaux locaux (issus de carrières ou briqueteries locales) ou en béton pour sa facilité de mise en œuvre. Les diagrammes suivants montrent la répartition des matériaux (source : fichiers fonciers 2023) employés en façade et en toiture sur les bâtiments concernés par notre étude (voir Carte interactive) :
Chaque matériau est mis en œuvre avec attention et souvent dans un souci esthétique. On retrouve par exemple des bétons avec des granulats (sables et gravillons) de tailles différentes, des bétons bouchardés, des enduits lisses ou non, des effets imitant des plaques de bétons par l’ajout de joints sur un enduit etc. Concernant la brique, on joue sur les tailles de briques et les différents appareillages (manière de positionner les briques les unes par rapport aux autres) et il en est de même pour les façades en pierre pour lesquelles la taille de chaque pierre n’a pas été choisie au hasard.
Performance énergétiques des bâtiments de la Reconstruction
Les bâtiments de la Reconstruction peuvent avoir des performances énergétiques assez différentes, liées à leur mode constructif. En effet certains sont construits en murs porteurs pierre (mur épais en pierre), d’autres avec une structure porteuse et un remplissage plus ou moins épais (parpaings, lame d’air, briques).
Néanmoins, les bâtiments construits après-guerre et avant les premières réglementations thermiques avaient généralement des performances médiocres. Aujourd’hui, même si l’enveloppe du bâtiment n’a pas été modifiée, ou très peu (souvent un changement de menuiseries uniquement), les systèmes de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire sont eux, bien plus récents et participent à l’amélioration des performances énergétiques et environnementales des bâtiments.
Lors de la réhabilitation, chaque projet devra donc être étudié de manière individuelle avec un diagnostic poussé du bâtiment et de son fonctionnement pour garantir que les modifications apportées ne nuisent pas à sa structure ou à son fonctionnement. On apportera une attention toute particulière à la circulation de l’air (ventilation et étanchéité à l’air) à travers les logements.